Sur les routes de la retirada

Les routes de l’exil

Au début de l’année 1939, 470 000 républicains espagnols, fuyant la victoire franquiste, se réfugient dans les Pyrénées ­Orientales. C’est la « Retirada ». A partir de l’été 1940, suivant les mêmes chemins, des centaines de personnes passent la frontière dans l’autre sens pour fuir l’arrivée des nazis en France. Divers lieux de mémoire, dans le département, rendent compte de cette histoire.

Une vidéo qui explique bien ce qu’a été la retirada

C’est un beau département que celui des Pyrénées-Orientales. On y trouve tout ce qu’il faut pour y passer d’agréables vacances, une longue côte, des sentiers dans la nature, de jolies villes et des vins charpentés et goûteux.
Sous la garrigue et les plages se cache une autre histoire, tragique et passionnante. Elle a commencé en jan­vier 1939 avec la Retirada. C’est le nom que l’on donne à la retraite des centaines de milliers de républicains espagnols venus chercher refuge ici après la chute aux mains des franquistes de la Catalogne, marquant la fin de la guerre d’Espagne. Le second épisode du drame a eu lieu dix-huit mois plus tard, après la défaite française de juin 1940, quand des centaines de malheureux ont cherché à passer les Pyrénées dans l’autre sens pour fuir les nazis lancés à leurs trousses. Pendant longtemps, cet incroyable chassé-croisé a été enseveli. Depuis une vingtaine d’années, des historiens, des amateurs, sou­vent enfants de cette histoire, se sont mobilisés pour la faire revivre à travers une poignée de lieux de mémoire disséminés dans la région. Ils forment une sorte de route des exilés que nous vous invitons à essayer. Elle vous apprendra beaucoup et vous remuera le cœur.

Le mémorial du camp de Rivesaltes

Parmi les lieux où l’on vous entraîne, le plus emblématique est le mémorial inauguré en 2015 à Rivesaltes, sur la plaine désolée qui a accueilli le camp d’internement le plus important et le plus durable de la contrée. Quand il ouvre, en 1941, sur un champ de manœuvre militaire, le camp de Rivesaltes est une ville de planches, étouffante l’été, glaciale l’hiver. L’eau se prend à la pompe dans l’allée sableuse, les pitoyables latrines sont au bout du chemin. C’est un lieu de dénuement.
Il sert d’abord à confiner les réfugiés espagnols et ceux que l’on appelait alors les « indésirables », les Tziganes ou les juifs étrangers, retenus par Vichy avant d’être livrés à l’Occupant.
Fermé en 1942, il est rouvert à la Libéra­tion pour accueillir les suspects de collaboration et les prisonniers de guerre allemands. A la fin de la guerre d’Algérie, on y parque des captifs FLN, bientôt suivis, après 1962, de ces milliers de harkis dont plus personne ne veut, qui débarquent ici avec leurs familles.
On y retrouve ensuite d’autres échoués de la décolonisation, comme des Guinéens qui s’étaient engagés pour la France.
En 1986, enfin, le lieu connaît une dernière vie comme petit centre pour étrangers expulsables. Quand il est définitivement fermé en 2007, divers acteurs locaux estiment qu’on ne peut laisser s’évanouir les traces d’une telle histoire. Ils réussissent à y intéresser les pouvoirs publics, qui marquent un grand coup. Le projet de centre mémoriel est confié à un grand nom, Rudy Ricciotti, l’architecte (entre autres) du Mucem, à Marseille. Il opte pour un geste fort: un bâtiment .,.

Argelès

A partir de la fin de 1938, la victoire de l’Ebre ouvre à Franco la voie de la Catalogne, dernière place républicaine. Les autorités françaises n’anticipent rien de ce qui est pourtant prévisible.
Fin janvier 1939, des centaines de milliers d’Espagnols en déroute, harcelés par les bombardements, paniqués par le sort que vont leur faire les nationalistes, viennent buter sur la frontière, fermée, des Pyrénées-Orientales.
Le 27, la France se décide à l’ouvrir aux femmes, aux enfants, aux vieillards et aux blessés, puis quelques jours plus tard aux combattants, préalablement désarmés. Arrivant de toutes les routes possibles, près d’un demi-million d’êtres éperdus de douleur se répandent sur un département qui compte moitié moins d’habi­tants.
Dans un premier temps, les femmes et les enfants sont dispersés sur le territoire national.
Pour les hommes, ce seront les plages du littoral, c’est-à-dire rien. « Arena y viento », diront les arrivants, le sable et le vent. Les trous creusés à même la plage pour se pro­téger du froid, et la ceinture de barbelés, de gardes mobiles et de troupes coloniales pour fermer le piège.
A partir du printemps, les internés édifieront eux-­mêmes leurs chabolas, leurs cabanes de planches et de roseaux. Après viendront les femmes et les enfants, puis les juifs, les Tziganes, les étrangers. Le plus grand de ces camps de la côte se trouvait à Argelès. Il ferme en 1941.
De sa réalité si précaire, il ne reste évidemment rien, sinon de nombreux documents: la guerre d’Espagne et son épilogue ont été très cou­verts par les premiers photoreporteurs. Des passionnés se battent depuis des décennies pour que son souvenir ne soit pas perdu.
Dans le village, grâce à eux, a été ouvert un petit musée qui, en quelques salles, retrace cette his­toire avec beaucoup de pédagogie. Sur la plage même, là où l’on souffrait hier et où l’on bronze aujourd’hui, a été érigé un monolithe. A quelques centaines de pas, on trouve le cimetière des Espagnols, où gisent quelques-unes des victimes de cette épreuve, tuées par le froid, la faim, les maladies. Sur le mât qui le surplombe claque fièrement au vent la tricolor, le drapeau rouge, jaune et violet de la République espagnole. Notre appartement Argeles-Plage borde ce qui fut le camp d’Argelès
Pour en savoir plus sur l’association FFREE (hélas, le site peine à être à jour)

Collioure

Quand on se rend à Collioure, perle de la Côte vermeille, on ne manque pas d’aller visiter son superbe château, qui domine la mer de ses hauts murs.
Résidence des rois de Majorque au Moyen Age, réaménagé par Vauban après la cession de la Catalogne du Nord à la France, il a une longue histoire.
A partir de 1939, la place forte sert de camp disciplinaire pour les Espagnols jugés dangereux par le craintif gouvernement français.
On visite encore, dans une sombre salle qui donne sur la place d’armes, un des cachots où l’on enfermait ces malheureux. Une fois sorti, on remontera la grand-rue du vil­lage pour gagner le cimetière. On y trouve la dernière demeure d’Antonio Machado, un des plus grands poètes de langue espagnole du XX » siècle, avec Garcia Lorca, qui fut son ami et son admirateur. Défenseur de la cause républicaine, il fait partie des 4 70 000 exi­lés de la retraite de 1939. Echoué dans une auberge de Collioure, il y meurt d’épuisement le 22 février, trois jours avant sa vieille mère. Sa tombe, toujours superbe­ment fleurie, est un lieu de pèlerinage. On y récite, comme en prière, ses vers les plus célèbres : «Caminante, no hay camino/Se hace camino al andar », « Marcheur, il n’y a pas de chemin/Le chemin se fait en marchant».

La tombe d’Antonio Machado et de sa mère à Collioure

La maternité d’Elne

De nombreux bénévoles tentent comme ils peuvent de soulager les souffrances des réfugiés, dont une incroyable jeune Suissesse, Elisabeth Eidenbenz (1913-2011).
Au service d’une association helvétique, elle s’est rendue à Madrid en 1937 pour aider les orphelins. Comme elle y a appris l’espa­gnol, on l’envoie en 1939 dans les Pyrénées-Orientales.
Parmi les mille misères de la Retirada, celle qui la choque le plus est le sort fait aux femmes enceintes. Certaines ont été obligées d’accoucher dans des écuries. Quand Elisabeth part aux provisions avec son vélo, il lui arrive de pousser jusqu’au marché d’Elne, jolie bourgade située à une dizaine de kilomètres d’Argelès. Elle y repère, à l’écart de la commune, une vaste demeure, qui semble abandonnée. Elle l’est.
Les propriétaires, qu’elle retrouve, acceptent de la lui louer. Après quelques travaux, l’élégante maison bourgeoise est transformée en maternité de fortune.
La première naissance y a lieu en décembre 1939; près de 600 suivront, des bébés de ces mères rejetées par les temps, des Espagnoles d’abord, puis des mamans tziganes ou juives trouvant là, pour quelques mois, un petit paradis de douceur au milieu de l’enfer. Jusqu’au printemps 1944, quand la Gestapo réquisitionne le lieu.
Des années plus tard, un des enfants d’Elne, un Français, fils de juifs polonais, retrouvera celle à qui il doit un peu la vie, Elisabeth Eidenbenz, devenue une vieille dame. Avec d’autres, il fera renaître son histoire oubliée.
Sa « maternité Suisse », rachetée par la commune, a été transformée en un petit musée. Les Espagnols y viennent nombreux. Ils ont raison. Tout empli encore de son histoire magnifique, le lieu est simple et poignant.

Cerbère-Port Bou, France-Espagne

Le monument de la retirada au col de Port Bou
Le monument de la retirada au col de Port Bou

Les républicains rêvaient de passer au nord.
Moins de deux ans après eux, des fuyards se faufilent secrètement sur ces mêmes chemins dans l’autre sens. Ils veulent gagner l’Espagne et rallier le Portugal pour espérer trouver place sur un bateau pour les États-Unis ou l’Angleterre
Les premiers, à l’été 1940, arrivent à Cerbère, le petit port qui fait la frontière côté français, avec sa baie somptueuse, sa plaine fer­roviaire, ses maisons de cheminot: c’est ici que la dif­férence d’écartement des rails obligeait les trains fran­çais à transborder leur chargement et leurs voyageurs sur des essieux espagnols. De là, il suffit de grimper le col et on retombe de l’autre côté de la frontière, à Port­Bou, la ville jumelle. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1940, un certain capitaine de Hauteclocque, résolu à rejoindre Londres, réussit le passage. C’est lors de ce trajet qu’il décide de prendre le nom de Leclerc, qui le rendra illustre.
Alma Mahler, Heinrich Mann, tant d’autres passent à leur tour.
A partir de septembre, les patrouilles rendent la route trop dangereuse. Pour rejoindre Port- Bou, il faut emprunter un chemin dans la montagne, plus long mais plus discret, qui part de Banyuls-sur-Mer.
Le plus célèbre clandestin qui le prit est le philosophe juif allemand Walter Benjamin. Exilé en France pour fuir Hitler depuis 1933, il doit le fuir à nouveau en 1940. Il franchit la montagne le 25 sep­tembre, mais, à son arrivée, il est contrôlé par la garde civile, qui lui annonce qu’il sera renvoyé d’où il vient dès le lendemain. A bout de forces physiques et morales, il renonce à s’échapper dans la soirée, comme le font ses compagnons de voyage, prend une chambre en ville, et s’y suicide dans la nuit.
Dans Port-Bou aujourd’hui, ce petit port dont le côté vieillot et la sim­plicité font le charme, on trouve un parcours fléché qui retrace les stations de ce martyre : la gare, où le philosophe est arrivé; la pension où il a dormi; le cime­tière, juché sur les hauteurs, où on l’a enterré. Devant l’entrée a été érigé à la mémoire du grand homme un beau monument, œuvre d’un artiste israélien, qui représente un escalier descendant jusqu’au-dessus de la mer.
Depuis le promontoire voisin, qui domine la baie, on aperçoit, au flanc de la montagne, la route qui serpente jusqu’à la France.

Le mémorial du camp d’Argelès sur mer

Au village d’Argelès, (26, avenue de la libération), il y a un mémorial qui retrace toute cette période de la retirada. Intéressant à visiter, il nous met en situation.
Il y a aussi le site web du mémorial qui nous en évoque l’histoire